A quelque chose malheur est bon
À quelque chose malheur est bon ? Mais quelle mouche a piquée la personne qui s’est permise de pondre une phrase pareille, me direz-vous ? Depuis quand est-il bon de vivre un malheur ? Dans une société où le bonheur est devenu incontestablement le Graal que tout le monde recherche, il devient impensable de considérer les épreuves de la vie comme bénéfique ; j’suis pas venue ici pour souffrir, OK !
Qui suis-je pour établir un constat pareil. Eh bien, je suis l’enfant d’un père et d’une mère qui ont tout quitté pour me permettre de me créer des opportunités. Imaginez-vous, un homme qui quitte son Congo natal pour poursuivre ses études en France hexagonale et laissant derrière lui sa femme et sa fille. Imaginez-vous que la prise de contact avec sa famille n’était pas aussi fluide en 1982. Imaginez-vous que ma mère et ma grande n’ont pu rejoindre mon père que des années plus tard. Alors, oui, nous pouvons l’imaginer, toutefois, il nous est difficile de nous mettre à leur place. Cette histoire, c’est l’histoire de nombreuses personnes sur cette terre. Vous connaissez certainement des proches qui ont vécu ces situations, et parfois bien pire. Dans leur malheur, mes parents et ma grande sœur ont trouvé un salut plus grand, celui de se retrouver, enfin.
Cela me rappelle le dicton de l’historien de 14e siècle Ibn Khaldun :
“Les temps difficiles créent des hommes forts,
les hommes forts créent des temps faciles,
les temps faciles créent des hommes faibles,
et les hommes faibles créent des temps difficiles.”
Force est de constater que cette boucle temporelle se répète.
En tant qu’homme avec un petit h, j’ai le sentiment qu’autrefois, nous faisions face aux difficultés de la vie avec plus de poigne et de sagesse à la fois. Cela ne signifie pas que nos pères et leurs pères ne les éprouvaient pas. Je dis simplement qu’un homme qui aspire à être un homme sait chérir son chemin de croix. Il trouve satisfaction lorsqu’il soulève des montagnes. Il n’y a qu’à observer le changement de nos sociétés. Dans mon domaine, la mode et l’habillement, on compte aujourd’hui plus de 200 tailleurs en France contre 15 000 dans les années 1950. C’est dire la perte drastique de savoir-faire. En effet, on se tourne davantage vers des métiers du tertiaire quand autrefois, nous investissions les métiers artisanaux et les fonctions militaires. On observe également cette tendance aux métiers du digital, en d’autres termes, aux métiers de la séduction. Et si autrefois, l’homme était séduisant en raison de ses activités et de la qualités de son travail, les influenceurs nous séduisent en nous dévoilant leur intimité. Car depuis qu’internet a libéré la parole, nous partageons nos pensées, nos dires, autrement dit nos contenus afin de séduire nos internautes, pour mieux vendre le bonheur à nos abonnés.
Seul, le bonheur n’existe pas. Car, pour vivre un bonheur absolu, j’imagine qu’il faut également faire l’expérience de son contraire. Un homme sage et fort sait que le bonheur n’est pas le leitmotiv de la vie, en ce sens que la vie est ainsi faite pour vivre. Il ne s’agit pas d’éprouver des souffrances jour après jour. Cela deviendrait insupportable, et en particulier pour un esprit nourrit pas l’idéal du bonheur à tout prix. Pour autant, les épreuves font partie intégrante de la vie. Si telle n’était pas le cas, nous aurions trouvé le remède qui procure ce bonheur absolu.
Pour ma part, je considère que le bonheur n’existe pas. Il y a la vie avec ses hauts et ses bas, et au milieu, il y a l’équilibre. Et c’est exactement à cet endroit que nous nous situons. Pourtant, l’équilibre n’est plus assez satisfaisant dés lors qu’il est contrecarré par un excès de dopamine ; alors, nous voulons plus, plus d’argent, plus de voyage, plus de muscle, plus de reconnaissance. Cela dit, les règles de la vie sont inévitables comme le martelait avec insistance l’agent Smith dans la trilogie Matrix. Car, lorsqu’on obtient beaucoup quelque part, on perd autre part. L’équilibre reprend sa place qu’on le veuille ou non. Ainsi, pour nous rappeler que deux opposés conduisent inéluctablement vers une certain équilibre, une paix telle celle offerte par le sacrifice de Néo pour sauver Sion, un homme sage a traduit cette équilibre de manière concrète:
“C'est afin que l'on sache, du soleil levant au soleil couchant,
Que hors moi il n'y a point de Dieu: Je suis l'Eternel, et il n'y en a point d'autre.
Je forme la lumière, et je crée les ténèbres,
Je donne la prospérité, et je crée l'adversité;
Moi, l'Eternel, je fais toutes ces choses”
Ésaïe 45:6/7
Par exemple, être très riche où excessivement beau n’est pas une mauvaise chose. Toutefois, je considère que cette richesse peut servir plus d’un homme. Si untel profite de sa fortune seul, c’est seul qu’il finira s’il la perd. En revanche, j’imagine qu’il trouvera au moins une âme charitable s’il a partagé sa richesse avec autrui. Selon Nicolas Machiavel, un prince qui respecte ses sujets obtient leur respect à son tour. Ainsi, grâce à l’adhésion du peuple, il est légitime de faire valoir son pouvoir.
Le bonheur n’existe pas, car s’il existe, il est éphémère.
À quelque chose malheur est bon, c’est une manière de se rappeler la chance que nous avons de traverser des épreuves aussi difficiles soient-elles. Cela vous rappelle aussi, si vous lisez jusqu’au bout, que vous êtes toujours en vie.